Les Enfants du Ça - extrait #2

29/03/2022

Les Enfants du Ça - extrait #2

Second extrait du livre "Les Enfants du Ça"

Les Enfants du Ça

extrait: le Désert

contexte: Orell et Hanya ont pris la route avec deux étrangers, dans une Cadillac rouge, toit ouvert, leur jukebox crachant sa musique. À la sortie de la Ville, ils traversent les terres sèches des bords de Civilisations.

extrait: (...) "

Lui, sous son bob, allume un magnifique pétard dont l’odeur nous est rapportée dans d’irrégulières charges fragrantes de fumées herbeuses. Et elle, qui s’enfonce dans son fauteuil, enfourchant ses deux grandes jambes lisses et moelleuses sur la tête du siège passager, riant d’une petite voix suave qui déteint sur l’ensemble de son visage de fille de l’Ouest. Elle aime la musique, elle, aux boucles d’airains, jeune mélopée palpable à la douceur farouche. Et quand elle se tourne vers moi et me caresse de suppositions, nous savons encore une fois qu’elle est à un pas la vie où nous aurions traversé le monde à deux et où je lui aurais offert un château dans lequel je l’aurais baisée toute la journée, où nous serions morts l’un dans l’autre dans le silence de notre désir jamais gâché. Mais nous esquissons simplement un petit sourire pour cette idylle que nous aurions tant aimé autre part, et remettons la tête en plein devant, dans celle du chaos et du carnage que nous choisissons pour cette vie.
Monstre ! Piste tellurique incroyable sur la droite avec un large plateau sec, seulement ponctué de quelques coriaces Achillées et dont l’horizon finit par une inatteignable montagne.
Je me lève impulsivement, manquant de basculer bêtement de la Cadillac fulminante, hurle assez fort pour que Jim, les yeux possédés par la route, m’entende à travers le brouhaha du vent et de son vieux Jukebox : « ARRÊTE-TOI CHACAL ! REGARDE ÇA ! C’EST ICI ! ».
Aussi vite, on est sur le bas-côté, et à trois on dégringole, plongeant, sautant du bord, roulant sur le sol réceptacle de notre liberté.
Jim et la fille dansent, le Bob défoncé reste euphorique dans la voiture avec le jukebox.
Je vois au loin un énorme insecte passer entre deux Achillées. J’avance vers la montagne, ou vers lui. Je m’allonge à ses côtés pour observer sa marche semble-t-elle absurde au milieu de cet océan de plat. Je reste un moment bée et regarde le Soleil qui commence sa chute, comme pour lui montrer ce que je vois et peut- être, qu’il orientera ma pensée, confuse, pour je ne sais quelle raison face à ce petit scarabée.
Le son d’une voiture qui s’arrête au loin derrière me coupe dans cet Instant. Je me retourne et vois une femme et trois enfants rejoindre Hanya et la fille. Elle semble leur parler courtoisement. Je m’approche pour les saluer.
En effet, c’est une jeune mère très élégante et naturelle, qui emmène sa marmaille voir un peu l’extérieur de la Ville pour trouver à s’occuper. Dans cette envie de souffler, elle a dû nous apercevoir sur le bas-côté et penser trouver conversation avec des inconnus sympathiques, ce que les enfants n’ont plus l’habitude de faire.
Alors que Jim s’est lancé dans une discussion à propos des répercussions du climat sur les plantes en terrain rocailleux, un vieux chant Lakota s’écharpe sans raison du Jukebox.
Je me mets à danser, entonnant ce morceau que l’on écoute régulièrement avec Hanya, je tournoie, sur un pied et sur l’autre, dès
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que je regarde un enfant, il se met à sourire. Alors j’en saisis un dans un large tourbillon et puis comme il se lance et bientôt continue sans moi je saisis la petite fille, aux cheveux bruns et malicieux, et quand les deux s’extasient dans de petits rires débridés, le dernier lâche la main de sa mère et nous rejoint en sautillant.
Alors nous dansons ensemble et maintenant ce sont eux qui me tirent et me montrent, criant plus fort que nous, et prenant la main de la fille de l’Ouest.
Le temps se suspend. Les chants des enfants et leurs rires partent en écho comme si tout venait de se vider autour de nous. Nous sommes les acteurs d’un souvenir lointain, avec les enfants immaculés.
Le cri nasillard et créateur d’un corbeau nous parvient de derrière la montagne. Il sort comme d’un point de fuite, là derrière les roches et à quelques jours de vol, nous attirant à l’autre monde caché mais pourtant 16 fois plus grand. Et la mère m’appelle sans mots et je la vois flotter dans un silence angélique, avec son merci et son pouvoir.
La petite famille est repartie au milieu des danses ; nous ne le réalisons concrètement qu’après avoir mis fin aux nôtres, alors que la lumière s’est déjà tapie.
Nous voilà dans la voiture, épuisés, ivres en mille aspects. Nous revenons d’un spectacle long de plusieurs mois aventureux. Il n’y a que l’anglais au bob qui reste lucide, lui, dans sa défonce.

— Je commence à avoir froid, dit-elle, un accent de nulle part, en se plaçant à nouveau dans le creux de la banquette arrière, vous pouvez nous montrer où aller ?
À mon portable une quinzaine d’appels, les projections revirent en une seconde.
— Cali m’a appelé, ils sont chez moi pour une soirée.
— Qu’est-ce qu’on fait ? répond Hanya.
L’idée de tournoyer là pour le reste de la nuit m’aurait bien
plu mais Hanya dirait qu’encore une fois, je ne sais me contenter de ce qui est déjà atteint et pousse toujours plus fort que ce qu’il faudrait.
— Allons-y voir alors, dis-je pour chercher dans l’inverse.
— Comme tu veux. On était aussi bien ici mais pourquoi pas. " (...)




Orell Kingzy